L'incendie d'un hôtel social (31/08/2020)
Samedi 05 septembre 2020.
Stéphanie, habitante du XIe arrondissement et engagée dans de nombreuses actions de solidarité, a invité quelques élus et habitants du XIe, pour rencontrer les personnes victimes de l’incendie s’étant déroulée dans leur hôtel social, situé quasiment à l’entrée du square Gardette (où nous nous retrouvons), le lundi de la même semaine.
Djenneba, de l’association “Les Mamas du 11e contre les violence” est aussi présente : le jour de l’incendie, elle fut la 1ère a offrir une aide alimentaire d’urgence en apportant des repas aux familles. Elle assure aussi la traduction quand c’est parfois nécessaire.
-“Alors… D’abord, je voudrais que vous racontiez ce qu’il s’est passé au moment de l’incendie” commence Stéphanie.
-“Le feu a commencé en bas de l’hôtel… certains pensent que ça a commencé au dernier étage, mais non, il a commencé en bas… au premier, deuxième ou au rez-de chaussée.”
-“Il y avait plein de déchets dans la cour… ça montait presque jusq’au 2e étage… on avait dit plusieurs fois à l’hôtellier qu’il fallait enlever ça de là, parce que ça attirait les souris…”
-“oui, et il y avait aussi plein de matelas, des vieux matelas, qui étaient jetés là… alors peut-être quelqu’un a jeté une cigarette, sans penser, et le feu a pris….”
-Moi, j’étais au 2e… quand j’ai vu le feu dans l’escalier, alors j’ai crié, j’ai crié… Parce que l’alarme anti-incendie, elle ne marchait pas… “
-“L’alarme avait sonné plusieurs fois, dans les semaines précédentes, elle se déclenchait de temps en temps, alors peut-être quelqu’un en a eu marre, et l’avait coupé…”
-“Alors, on a pu descendre, et on est allé à la réception… pour leur dire d’appeler les pompiers !”
-“Oui, mais la personne a la réception… Pfff !”
-“Elle n’était pas capable de téléphoner… Elle ne savait plus quoi faire devant le feu…”
-“Elle avait trop peur…”
-“Alors j’ai dit à ma fille de téléphoner aux pompiers.. hein, c’est toi qui les a appelé ?”
C’est une adolescente qui prend la parole :
-“Oui… J’ai pu leur dire qu’il y avait le feu… Et l’adresse de l’hôtel… Et ils m’ont dit ce qu’il fallait faire… Prévenir les gens : Alors on a crié pour prévenir les autres…”
-Et heureusement les pompiers sont arrivés vite…”
-“Moi j’ai entendu les cris, alors je suis sorti de la chambre… et j’ai vu le feu, partout…”
-“Moi c’est les explosions qui m’ont alertée…”
-“Parce que le feu est monté dans la cage d’escalier, et arrivé en haut, comme les flammes ne pouvait plus monter, le feu s’est répandu dans l’étage… et il a brulé les salles de bains… et ça a fait des énormes explosions…”
-Moi, j’ai été réveillée par les explosions… Parce que je travaille la nuit, et je suis rentrée tard, a 2 heures du matin… Alors j’ai ouvert la porte, et là… Aaaah ! Il y avait des flammes partout !!! Partout… J’ai refermé la porte !!! Je ne savais plus quoi faire… Alors j’ai dis aux enfants de prendre les couvertures et de les mettre sur eux, sur la tête et le dos, tout autour… Puis je les ai fait sortir en leur disant de courir dans l’escalier, pour sortir de l’hôtel et de ne pas s’arrêter… j’ai fait partir les plus grands… Puis j’ai pris le petit, que je devais porter parce qu’il ne peut pas encore marcher, j’ai mis la couverture sur nous, et je suis partie dans les flammes… J’avais trop peur… J’ai entendu crier un des grands qui étaient partis en avant… et puis je ne l’ai plus entendu… Et en descendant, j’ai vu sa couverture qui était en train de bruler dans l’escalier !!! Alors j’ai crié pour l’appeler ! mais pas de réponse… J’avais si peur, si peur pour mes enfants… Quand je suis arrivée dehors, je l’ai cherché, mais je ne le trouvais pas… Je ne savais pas où il était…”
-“Oui, mais heureusement il était avec les pompiers !”
-“Oui… les pompiers l’avaient trouvé !”
-“Moi, j’étais dans la chambre quand j’ai entendu les bruits… La porte était fermée à clef… Mais quand j’ai voulu ouvrir, la porte était chaude et la clef était brulante, je ne pouvais pas la tenir… J’étais enfermée dedans avec les enfants… !!! J’ai pris de l’eau pour arroser la clef, mais elle n’a pas bien refroidie… J’ai quand même pu ouvrir pour sortir avec les enfants…”
-“Et toi, raconte-leur avec ta petite…”
-“J’étais avec les quatre enfants dans la chambre… Il fallait sortir et que je porte les petits… alors on est parti dans l’escalier… Mais ma fille est tombée dans l’escalier derrière moi… Mais moi je portais les petits… Et c’est son frère qui est remonté pour aller la chercher, dans les flammes… Je ne sais pas ce qu’il se serait passé s’il n’était pas retourné la chercher…”
-“Oui, il a été très courageux, ton garçon”
-“Mais, la petite, elle est blessée ! Elle est à l’hôpital ! Montre-leur les photos !”
Une photo avec le visage d’une fillette brulée au visage circule, grace aux téléphones. Evidemment, elle ne sera pas montrée ici.
-“Quand elle s’est regardée dans le mirroir, dans la salle de bains de sa chambre à l’hôpital, elle m’a dit : “Maman, je ne suis plus belle, je suis vilaine… et je vais rester comme ça tout le temps !!!” La pauvre… Elle n’a que 7 ans…”
-“La pauvre petite…”
Cécile, de l’association “la caravane des dunes”, a prévu un goûter (des gâteaux et quelques boissons), qui est le prétexte de notre rencontre. Les enfants se servent, les adultes se passent des verres de jus de fruits. Il y a une quinzaine d’adultes (mais un seul homme !), et une quinzaine d’enfants, du bébé au majeur…
L’émotion passe un peu. Mais il semble évident qu’une catastrophe a été évitée de justesse… presque par hasard.
-“Et dans cet hôtel, vous étiez bien logés ?” relance ensuite Stéphanie.
“Non, non, ce n’était pas bien… Il y avait des cafards… partout….”
-“Et des souris !”
-“Et aussi des punaises… Les enfants étaient pleins de boutons !!!”
-“Non, ce n’était pas un bon endroit pour faire vivre les enfants…”
-“Mais où aller ? on ne pouvait pas aller ailleurs !”
Voici quelques-unes des photos montrées par les parents :
-“Le réceptionniste n’était pas très gentil : Au début, ça fermait à minuit… Après à 23h30… Puis à 23h00… Des fois, ça fermait à 21h30 ! L’autre jour, je voulais sortir à 21h, il m’a dit de faire attention parce que ça allait bientôt fermer !!! On n’avait pas l’impression d’être chez soi…”
-“Moi, je rentre tard du travail… au milieu de la nuit… Alors, il a fallu que je lui donne un backchich… Oui, comme ça , de l’argent… 50€ pour avoir le code pour ouvrir la porte et entrer dans l’hôtel… Mais c’est mon travail, je ne fais pas exprès de rentrer tard…”
-“Maintenant, je voudrais que vous disiez : comment s’est passée votre prise en charge ?” poursuit Stéphanie.
-“Les pompiers, c’était très bien…”
-“Oui, pour les pompiers…”
-“Vous m’avez dit avoir eu des difficultés…” rappelle Stéphanie.
-“Oui… avec les gens du Samu Social…”
-“Oui, ils n’étaient pas gentils… on sortait de l’incendie, on était devant l’hôtel…”
-“Et ils ne nous parlaient pas… Ils nous montraient de l’index… Comme ça…. Moi, tu peux me parler, je peux comprendre…”
-“Et après ? Pour votre nouvel hôtel ?” continue Stéphanie.
-“Eh bien, on a attendu…. mais on était fatigué…”
-“Et après ?” relance-t-elle.
-“Eh bien… Au bout de plusieurs heures, on en avait marre d’attendre…. Ils nous ont dit qu’un car allait venir… Mais nous, on était fatigué d’attendre comme ça… Alors on est parti à pied pour aller à l’hôtel !”
-“Et vous m’avez dit que certains d’entre vous n’avez pas de chaussures… C’est bien ça ?” précise Stéphanie.
-Bah oui, c’est à cause de l’incendie… On est parti vite, sans les chaussures…”
Une recherche d’itinéraire sur internet indique rapidement qu’il y a environ un kilomètre entre les deux hôtels.
-“Alors, maintenant, comment ça va ? ça va mieux ?”
-Bah non, pas bien… C’est les enfants…”
-“Moi, il ne veut plus dormir la nuit… Il a peur ! Il me dit “Maman, si je dors, le feu, il va revenir !”
-“Moi, les enfants ne mangent plus… Depuis lundi, je n’arrive pas à les faire manger !”
-“Et avez-vous eu un soutien psychologique ? Avez-vous eu l’aide d’un médecin ?” interroge Stéphanie.
-“Non, personne… On n’a vu personne, depuis lundi…”
Plus tard, nous nous ferons la remarque que les adultes ne parlent que de leurs enfants, sans réclamer de l’aide pour eux-mêmes.
-“D’ailleurs, comment mangez-vous depuis lundi ?” demande Stéphanie.
-“On mange des sandwichs…”
-“On mange froid, on est obligé d’acheter des choses déjà prêtes au magasin… Car on ne peut pas cuisiner dans l’hôtel !”
-“Moi j’avais acheté un micro-ondes… mais il a brulé dans l’incendie…”
-“Bah oui,plus de micro-ondes… Et le frigo aussi : le frigo il a brulé… Alors, je ne peux même pas acheter des yaourts pour les enfants, car s’ils ne mangent pas tout, ils vont s’abimer !”
-“Alors on mange froid…”
-“Dans les chambres, il n’y a qu’un lit et une chaise…. même pas de table !”
-“Je n’ai pas de lit pour le bébé : alors je fais dormir le bébé dans mon lit, avec moi….”
-“On n’a même pas de draps pour le lit et de serviettes pour la douche….”
-Et les douches et les toilettes sont collectives… Alors, il faut accompagner les enfants, à chaque fois qu’ils veulent y aller…”
-“Moi les enfants, ils ont envie d’aller aux toilettes la nuit… Et comme je ne peux pas les laisser aller tout seul,alors ils me réveillent plusieurs fois dans la nuit…. SI au moins, il y avait des toilettes dans les chambres, ils pourraient y aller tout seul… Mais là, c’est collectif… Je ne peux pas laisser un enfant aller seul au milieu de la nuit…”
-“Et pour l’école… Les enfants sont retournés à l’école ?” enchaîne Stéphanie.
-“oui, mais c’est compliqué… Notre nouveau logement est dans un autre arrondissement… Alors il faut faire le trajet, le matin et le soir…”
-“Et toi, dis-lui pour l’hôpital !”
-“L’hôpital où est ma fille est dans un arrondissement, mais l’école dans un autre… Et on a été relogé dans un troisième arrondissement… Alors je passe la journée à faire les trajets : emmener les grands à l’école, puis aller à l’hôpital, puis retourner à l’école, puis l’hôtel…. C’est fatigant…”
-“Moi, ça faisait des semaines que j’économisais : pour acheter les cartables, les cahiers, les crayons… Tout ! J’avais tout acheté ! Et là, le lundi, la veille de la rentrée, tout a brulé… Il n’y a plus rien… Comment faire ? Hein, qu’est-ce que je vais faire ?”
-“Est-ce que vous avez reçu de l’argent ?” demande Stéphanie.
-“Oui ! On nous a donné 150€. C’est bien, c’est beaucoup… Mais là, il faut tout racheter… les vêtements, les affaires pour se laver, pour l’école… Juste pour manger, comme on ne peut pas faire la cuisine, on dépense beaucoup d’argent… Car il faut acheter des plats préparés… Et dans quelques jours, il n’y aura plus rien… Alors, qu’est-ce qu’on va faire ???”
L’après-midi se termine.
Habitants et élus sont effarés. On parle d’évènements survenus en 2020, dans Paris, la capitale de la France, un pays parmi les plus riches au monde… et non, dans un pays en guerre, en crise économique ou sans Etat.
Julie, bénévole du Baam (une association oeuvrant dans l’aide à l’accueil des persones migrantes) précisera que, pour la plupart, les adultes travaillent et les enfants vont à l’école, ce qui devraient leur permettre d’obtenir un permis de séjour de 10 ans, après constitution rapide d’un dossier… Ce qui évidemment changerait tout pour ces personnes, et leur permettrait de stabiliser leur cadre de vie !!! Comment se fait-il que personne n’ait pu le leur conseiller ?
Trois jours plus tard, mardi, une collecte de solidarité permettra de faire des courses pour tenter de répondre à l’urgence : nécessaire de toilette, d’hygiène féminine, biberon, lait, couches pour les bébés..
Puis, les mamans seront accompagnées à la Petite Rockette, où elles pourront prendre une tenue complète par personne du foyer (toutefois les tailles de vêtements et chaussures ne seront pas toujorus disponibles, ainsi certaines prendront moins que ce qu’elles pouvaient !), et quelques draps et serviettes de toilettes.
Mercredi, une collecte est organisée et des habitants se donnent rendez-vous pour apporter vêtement, chaussures, poussettes, jouets…
La boutique Ol’Digger, dans le quartier, offre spontanément des bons d’achats de 10€ par enfant, pour 15 enfants. Ces bons permettent d’obtenir à la boutique des articles au choix (Certains articles sont à 1€ pièce). Ceci permettra aux familles de commencer à s’équiper pour la rentrée.
Les besoins sont énormes. Les habitants lancent une collecte de fonds et de matériel. Toute aide est la bienvenue !
Vous souhaitez participer à l’élan de solidarité ?
Stéphanie nous indique qu'il y a, aujourd'hui, à Paris,1200 familles répertoriées comme vivant dans des conditions indignes ...
Plus d’infos sur les structures mentionnées :
-Les Mamas du 11e contre les violences : 8 bis rue Lacharrière 75011 Paris
Comme pendant le confinement de mars à mai 2020, la démonstration est faite
d’une réelle efficacité des professionnels de terrain (ici les pompiers),
et d’une solidarité spontanée et puissante des citoyens !!!